/
/
/
La biche brame La biche brame au clair de lune Et pleure à se fondre les yeux : Son petit faon délicieux A disparu dans la nuit brune. Pour raconter son infortune A la forêt de ses aïeux, La biche brame au clair de lune Et pleure à se fondre les yeux. Mais aucune réponse, aucune, A ses longs appels anxieux ! Et le cou tendu vers les cieux, Folle d'amour et de rancune, La biche brame au clair de lune. Maurice Rollinat (1846 / 1903) |
Dans une fosse comme un ours Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène Tournons tournons tournons toujours Le ciel est bleu comme une chaîne Dans une fosse comme un ours Chaque matin je me promène Dans la cellule d'à côté On y fait couler la fontaine Avec les clefs qu'il fait tinter Que le geôlier aille et revienne Dans la cellule d'à côté On y fait couler la fontaine GUILLAUME APOLLINAIRE "À la Santé",Alcools, |
Chanson d'automne Les sanglots longs Des violons De l'automne Blessent mon coeur D'une langueur Monotone. Tout suffocant Et blême, quand Sonne l'heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure Et je m'en vais Au vent mauvais Qui m'emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte. Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes saturniens) |
Sonnet Moi, je vis la vie à côté, Pleurant alors que c’est la fête. Les gens disent : "Comme il est bête !" En somme, je suis mal coté. J’allume du feu dans l’été, Dans l’usine je suis poète ; Pour les pitres je fais la quête. Qu’importe ! J’aime la beauté. Beauté des pays et des femmes, Beauté des vers, beauté des flammes, Beauté du bien, beauté du mal. J’ai trop étudié les choses ; Le temps marche d’un pas normal ; Des roses, des roses, des roses ! Charles CROS |
La mer secrète Quand nul ne la regarde, La mer n'est plus la mer, Elle est ce que nous sommes Lorsque nul ne nous voit. Elle a d'autres poissons, D'autres vagues aussi. C'est la mer pour la mer Et pour ceux qui en rêvent Comme je fais ici. Si nul ne pense à moi Je cesse d'exister. Jules SUPERVIELLE in La Fable du monde |
Le Sorcier S’il prend un oignon sur la table, Le voilà changé en boa ; Le boa, dès qu’il l’a touché, Devient un bouc endimanché ; Le bouc, un coq de basse-cour, Qui chante tout le long du jour ; Le coq, un petit éléphant ; Cet éléphant, un ver luisant ; Ce ver luisant, un chien arabe ; Ce chien, un oignon sur la table. Et tout est à recommencer. Triste métier d’être sorcier Maurice CAREME |
Le thé Miss Ellen, versez-moi le Thé Dans la belle tasse chinoise, Où des poissons d'or cherchent noise Au monstre rose épouvanté. J'aime la folle cruauté Des chimères qu'on apprivoise. Miss Ellen, versez-moi le Thé Dans la belle tasse chinoise. Là sous un ciel rouge irrité, Une dame fière et sournoise Montre en ses longs yeux de turquoise L'extase et la naïveté : Miss Ellen, versez-moi le Thé. Théodore de BANVILLE , Rondels. |
La rainette À l'heure grise, c'est le tour de la rainette : Et sa chanson toujours la même, lente et nette, De buissons en buissons, va mourir jusqu'au pré. On ne distingue plus qu'un nuage empourpré. Le bois, las de frémir, va prendre un bain de lune, Et les voix des oiseaux se taisent, une à une. Les joncs laissent tomber leurs pointes, désarmés, Et, dans l'herbe touffue aux mille bruits calmés, Grisé d'odeurs, parmi les fleurs de toute sorte, Grave, le grillon noir écoute sur sa porte. Jules RENARD Poésies inédites : Pointes sèches. |
Sensation Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l'herbe menue ; Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue. Je ne parlerai pas, je ne penserai rien Mais l'amour infini me montera dans l'âme, Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature, - heureux comme avec une femme. Arthur Rimbaud |
Papillon C'est curieux Depuis deux jours que nous sommes en vue des terres aucun oiseau n'est venu à notre rencontre ou se mettre dans notre sillage Par contre Aujourd'hui A l'aube Comme nous pénétrions dans la baie de Rio Un papillon grand comme la main est venu virevolter tout Autour du paquebot Il était noir et jaune avec de grandes stries d'un bleu déteint Blaise Cendrars |
Le vent Sur la bruyère longue infiniment, Voici le vent cornant Novembre, Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent Qui se déchire et se démembre, … Le vent sauvage de Novembre. … Le vent rafle, le long de l'eau, Les feuilles mortes des bouleaux, Le vent sauvage de Novembre; Le vent mord dans les branches, Des nids d'oiseaux ; …Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent hurlant, Voici le vent cornant Novembre. ÉMILE VERHAEREN, Les Villages illusoires, |
Liberté (extrait) Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris ton nom Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'écris ton nom Sur les champs sur l'horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres J'écris ton nom Et par le pouvoir d'un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. Paul Eluard in Poésies et vérités 1942 Ed. de Minuit |
Il y a Il y a des petits ponts épatants Il y a mon cœur qui bat pour toi Il y a une femme triste sur la route Il y a un beau petit cottage dans un jardin Il y a six soldats qui s'amusent comme des fous Il y a mes yeux qui cherchent ton image Il y a un petit bois Charmant sur la colline Et un vieux territorial pisse quand nous passons Il y a un poète qui rêve au petit Lou Il y a une batterie dans une forêt Il y a un berger qui paît ses moutons Il y a ma vie qui t'appartient Il y a mon porte-plume réservoir qui court Il y a un rideau de peupliers délicat délicat Il y a toute ma vie passée qui est bien passée Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades Il y a mon fouet de conducteur dans mon sac à avoine Il y a des wagons belges sur la voie Il y a mon amour Il y a toute ma vie Je t'adore. Guillaume Apollinaire, "Il y a", Poème à Lou |